Page:Courteline - Les Linottes, 1899.djvu/28

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t en bec fin l’observation malicieuse, il entassa, nouvel Encelade, des montagnes d’énormités, disant que de tout temps, « Oui, mon cher, de tout temps », il avait fait l’admiration de populations en délire !… à l’école communale d’abord, où l’avait mis hors pair dès l’âge le plus tendre son sens merveilleux de la musique, et, plus tard, à Pont-à-Mousson, où on venait l’entendre de dix lieues jouer de l’orgue à la cathédrale le dimanche, tellement il était épatant dans l’art de nuancer une phrase et d’arracher à un accord attardé parmi les basses graves le cri de misère et de détresse de l’humanité tout entière !

— Et savez-vous à quel âge ?… À onze ans !… À onze ans : c’est insensé, hein ?… Quel cœur ! Quelle âme !…

— Quel imbécile ! pensait en soi Robert Cozal tout en affectant d’approuver et même de surenchérir, tandis que l’autre en venait peu à peu à des monstruosités, encouragé et rengorgé, l’œil rond d’un kakatoès à qui on gratte l’occiput en disant : « Il est beau, Coco ! »

La contemplation de son « moi » grisait cet infortuné comme le spectacle de sa propre grâce affole une enfant vicieuse. Il finit, complètement saoulé, par dresser hors de son lit son torse velu, nu et suant, et par brailler, la mesure battue à tour de bras, une façon de marche triomphale qu’il avait jadis composée en l’honneur du Ministre de l’Instruction publique venu poser la première pierre du lycée de Vanne-en-Lorraine.

— Écoutez un peu ça, Cozal. Tra la la, broum, broum ! Très chouette, hein ? D’zim !… Amusant, le coup de cymbale ! Broum ! broum ! (les bassons). Tu tu tu… (Entendez-vous les clarinettes ?) Broum !… – Et toujours la mélodie !… Car voilà ce qu’il y a d’admirable avec moi : le respect de la mélodie !…

Un sourire errait sur sa face. À l’envisagé de tant de génie,