Page:Courteline - Les Linottes, 1899.djvu/62

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Parole marquée au sceau même de la vérité, ainsi qu’il le prouva sur l’heure en révélant à l’ahurissement de Cozal le projet par lui caressé de se mettre commis-voyageur en Littérature Française.

Cette déclaration dépassait les espérances du jeune homme.

Hamiet développa sa pensée :

— Mon cher, nous vivons en un temps où les gens, systématiquement, ne veulent pas faire le métier qu’ils exercent. Tenez, il y a, de par les rues, des messieurs pauvrement vêtus qui se promènent, un sac sur l’épaule, en criant : « Habits ! Habits !… Avez-vous des habits à vendre ? » Appelez-en un, et présentez-lui un paletot. L’homme examinera le paletot avec une attention recueillie ; il en ébranlera les boutons, il en inspectera les coutures, après quoi il vous demandera : « Vous n’auriez pas plutôt des bottes, une casserole ou de vieux papiers ? » Pourquoi ? Pour la raison bien simple que sa mission dans l’existence étant de revendre à bénéfice de vieux vêtements qu’il a achetés, il ne veut trafiquer que des choses étrangères à sa profession. Autre exemple. Le marchand de journaux est un homme qui conquiert centimes par centimes son pain et celui de ses enfants. Il semble donc que tous ses calculs devraient tendre à l’amélioration de sa condition trop humble, par conséquent à multiplier du même coup la vente des feuilles publiques, bases de son commerce, et les centimes, fruits de ses peines. Voilà un raisonnement frappant, n’est-il pas vrai ! un raisonnement élémentaire ? d’une logique faite pour éblouir la jugeote d’un enfant de cinq ans ? – Oui, eh bien, fondez un journal et essayez de le lui faire vendre ; essayez-y un peu, pour voir !… Vous n’aurez pas placé vingt mots, qu’il se dressera, indigné, et