Aller au contenu

Page:Courteline - Messieurs les ronds-de-cuir, 1893.djvu/83

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

sition, à Grenelle, grouillait autour de ce malheureux une ribambelle de malfichus : une fillette mi-aveugle ; un crapaud de cinq ans, éclopé, qui consolidait de béquilles son rachitisme précoce ; un dernier-né encore au sein, dont le visage couleur de saindoux promettait ; et une femme coiffée à la vierge, qui était devenue aphone pour avoir disputé trop de pièces de deux sous à l’âpreté des harengères. De quoi vivaient ces gens ? Problème !… de bouillons arrachés les uns après les autres à d’inépuisables pot-au-feu ; — sans doute aussi de ces choux équivoques dont les abominables relents empuantaient avec une obstination digne d’éloges le palier de leur cinquième étage.

N’importe. Au milieu de cette détresse, Sainthomme, les rares moments où il n’était pas au bureau, baladait sa morne figure imperturbablement sereine, son importance de personnage chargé d’une mission officielle, et les rides multiples d’un front qu’avait ravagé à la longue le sourd travail des hantises opiniâtres. Car cette âme avait son secret, cette vie avait son mystère : l’ambition (depuis des années qui lui pesaient comme des siècles) caressée par cet imbécile de