Page:Courteline - Un client sérieux, 1912.djvu/116

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tu n’aurais pas supporté quinze jours l’existence abominable que je t’ai faite pendant cinq ans.


Landhouille. — Louison !


Louison. — Enfin !… Embrasse-moi sur la bouche.


Landhouille. — Je ne peux pas. Je suis marié.


Louison. — A qui la faute ? J’en ai assez mis des bâtons dans les roues de ce mariage-là ! J’en ai assez poussé, des cris ! Je t’en ai assez fait, des menaces ! Jusqu’à un gosse emprunté à une concierge de mes amies, que je suis venue déposer sur les genoux de la mariée au milieu de la cérémonie, en criant : "Du pain, madame ! par pitié, du pain pour l’enfant, puisque vous me ravissez le père ! " Va ! je dors sur mes deux oreilles. Que des femmes t’aient chéri plus que moi, je ne dis pas ; je te défie de m’en citer une qui t’ait embêté davantage.


Landhouille. — Je m’en défie aussi.


Louison. — Enfin, voyons, est-ce vrai ? (Pensive.) Des fois… — Tu sais, nous autres femmes, nous sommes des êtres de sentiment ; nous aimons regarder en arrière et patauger dans le passé — … des fois, comme ça, au coin de mon feu, je me laisse aller à la rêverie, je revis toute notre liaison. Eh bien, crois-moi si tu veux : quand je songe à quel point je t’ai rendu malheureux, mais malheureux, (Doucement égayée.) je ne peux m’empêcher de rire.


Landhouille. — Ça tient à ce que tu as bon cœur.


Louison, très simplement, lui passant la main dans les cheveux. —- Aussi, ces cheveux blancs-là, qui est-ce qui te les as faits ?


Landhouille. — C’est Louison.


Louison. — Et ces belles grosses rides, qui c’est qui te les a creusées ?


Landhouille. — C’est Louison.


Louison. — Bien sûr, c’est Louison. Ah ! ah ! elle est mignonne, Louison ! Dis, mon chéri, elle est mignonne ?


Landhouille, pas très convaincu. —… Oui.


Louison. — Causons un peu, tous les deux. Tiens, assieds-toi là, près de moi. Te rappelles-tu la fois où je t’ai tant ostiné !


Landhouille. — Oh ! A ciel constellé, on ne compte pas les étoiles. Précise. De quoi veux-tu parler ?


Louison. — De cette soirée inoubliable où je faillis te rendre fou à force de te tenir tête. Y avait deux heures que ça durait, si bien que tu en étais venu à pleurer des larmes de rage, les poings aux tempes, trépignant, criant : "Mais tais-toi donc, bon Dieu ! C’est donc un parti pris de me mettre hors de moi ? Ah ! la scélérate ! Ah ! la gueuse ! C’est à ma cervelle qu’elle en veut ! C’est à ma pauvre cervelle ! " A la fin, comme je ne cédais pas, tellement je prenais plaisir à te faire écumer…


Landhouille. — Attends !… ça me revient, parbleu ! Je m’en allai à la cuisine…


Louison. — Oui.


Landhouille. — J’en revins avec un seau d’eau…


Louison. — Avec un seau d’eau, parfaitement !


Landhouille. —… et l’ayant balancé lentement : "Une ! Deux ! Trois ! "…


Louison. —… tu en lanças tout le contenu à travers la chambre à coucher ! Ce fut un joli spectacle ! Projetée par le vide des espaces, la trombe se déploya en forme d’éventail, puis s’abattit comme un pan de mur !


Landhouille. — Comme un pan de mur ! C’est cela même !


Louison. — Tu te souviens ?


Landhouille. — Comme si c’était d’hier… Non, ce lit !… une porte d’écluse.


Louison. — Et la cheminée !… une cataracte !


Landhouille. — Et les angles de l’armoire à glace vomissant l’eau comme des gargouilles !


Louison. — Et le chat fuyant éperdu à travers l’inondation avec une queue longue comme ça ! Parce que tu sais, les queues des chats…


Landhouille. —… quand on les mouille, ça s’allonge.


Louison,