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Page:Courtilz de Sandras-Mémoires de Mr D'Artagnan-t1-1896.djvu/139

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mémoires de m. d’artagnan

quelques désagréments à celui qui se met dans le même cas que moi. Je m’en fusse certainement sorti à bon compte, mais ma maîtresse y risquait gros, si je ne me diligentais pas à la tirer d’affaire.

Mais si je m’amusais à raconter à qui de droit les choses comme elles s’étaient passées, nous n’aurions pas le beau rôle, surtout la cabaretière, qui, outre sa réputation et son repos, y perdrait sa liberté ; il me fallait donc imaginer un mensonge, et l’aller de ce pas conter au commissaire, celui-là même qui m’avait été secourable lors de ma première affaire.

J’allai donc réveiller ce magistrat, et je lui dis : « Qu’étant demeuré au jeu jusqu’à dix heures du soir, j’avais été pris par la faim, en sortant, et n’avais pu, vu l’heure indue, me faire ouvrir un cabaret. J’avais pensé alors qu’on me serait plus charitable en pays de connaissance. M’étant rendu alors (toujours à mon dire) chez le cabaretier en question, j’avais été assez bien reçu et cet homme m’avait fait monter dans sa propre chambre, en attendant que le souper lût servi. Mais, au lieu qu’on m’apportât à manger, ce cabaretier était revenu dans cette même chambre, accompagné de deux bretteurs, et deux garçons armés ; tous cinq s’étaient jetés sur moi, sans que je me pusse mettre en défense, m’avaient dépouillé nu, sauf ma chemise. Le cabaretier m’avait enjoint, alors, de recommander mon âme à Dieu, parce qu’il allait me poignarder dans un moment. Je l’avais prié, là-dessus, de me permettre de me retirer en un coin, pour faire ma prière. Étant entré dans un cabinet, où je savais que s’ouvrait une fenêtre donnant sur la cour d’un rôtisseur, j’avais préféré me jeter de là-haut, au risque de me rompre le col, plutôt que d’être poignardé. »

Et comme le commissaire s’informait pour quelle