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mémoires de m. d’artagnan

médiocre vertu, il en est de même pour les hommes entachés de couardise. Mes parents m’exhortèrent longuement à conserver toujours ce conseil par devant les yeux, ajoutant que je ne saurais jamais me le graver trop avant dans la cervelle.

C’est un danger de faire à un jeune homme un portrait trop vif de certaines choses, parce qu’il n’a pas l’esprit de les digérer. Je m’en aperçus plus tard, quand la raison me fut venue ; mais, en attendant, je commis quantité de sottises pour m’attacher au pied de la lettre à ce qu’on m’avait dit.

Tout d’abord, je cherchai querelle aux gens qui me regardaient entre deux yeux, encore qu’ils n’eussent dessein de me faire injure. Cela m’arriva la première fois, entre Blois et Orléans, dans une petite ville nommée Saint-Dié, et l’aventure me coûta cher sans me rendre plus sage. Mon bidet, très fatigué du voyage, et assez mal en point par lui-même, avait à peine la force de lever la queue. Un gentilhomme de l’endroit s’arrêta pour me contempler, moi et mon équipage, sur un air de moquerie, et se prit à chuchoter avec trois ou quatre personnes qui l’accompagnaient.

Je l’interpellai aussitôt par des paroles offensantes, mais il fut assez raisonnable pour faire semblant de. ne pas entendre. C’était un homme de grande taille, à la fleur de l’âge. Il me considérait certainement comme un enfant, quoique je parusse plus vieux que mon âge. Les gens de sa suite le louèrent en eux-mêmes de sa modération, et me blâmèrent de ma colère. Mais la fureur m’emporta de songer qu’on faisait mépris de mes paroles, et j’en fus plus excité encore que de la première raillerie. Je descendis de cheval, et courus charger mon homme, sans compter