MEMOIRES
DE
Mr. D’ARTAGNAN
Compagnie des Mouſquetaires du Roi.
e ne m’amuſerai point ici à rien
raporter de ma naiſſance, ni de ma
jeuneſſe, ; parce que je ne trouve
pas que j’en puiſſe rien dire qui ſoie
digne d’être raporté. Quand je
dirois que je ſuis né Gentilhomme,
de bonne Maiſon, je n’en tirerois, ce me ſemble,
que peu d’avantage, puiſque la naiſſance eſt un pur
effet du haſard, ou pour mieux dire de la Providence
divine. Elle nous fait naître comme il lui
plaît ſans que nous ayons dequoi nous en vanter.
D’ailleurs, quoi que le nom d’Artagnan fut déja
connu quand je vins au monde, & que je n’ay ſervi
qu’à en relever l’éclat, parce que la fortune m’en a
voulu en quelque façon, il y a toujours bien à dire
qu’il le fut à l’égal des Chatillon ſur Marne, des
Montmoranci & de quantité d’autres Maiſons qui
brillent parmi la Nobleſſe de France. S’il apartient
à quelqu’un de ſe vanter, quoi que ce ne doive être
qu’à Dieu, c’eſt tout au plus à des perſonnes qui
ſortent d’un ſang auſſi illuſtre que celui-là : Quoi