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Page:Courtilz de Sandras - Mémoire de Mr d’Artagnan, tome premier, 1700.djvu/14

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que je priſſe bien garde à ne jamais faire de lâcheté, parce que ſi cela m’arrivoit une fois, je n’en reviendrois de ma vie. Ils me repreſenterent que l’honneur d’un homme de Guerre, profeſſion que j’allois embraſſer, étoit auſſi délicat que celui d’une femme, dont la vertu ne pouvoit jamais être ſoupçonnée, que cela ne lui fit un tort infini dans le monde, quand elle trouveroit après cela le moyen de s’y juſtifier : que je ſçavois bien le peu de cas que j’avois toûjours entendu faire de celles qui paſſoient pour être de mediocre vertu ; qu’il en étoit de même des hommes qui témoignoient quelque lâcheté, que j’euſſe toûjours cela devant les yeux, parce que je ne pouvois me le graver trop avant dans la cervelle.

Il eſt quelquefois dangereux de faire à un jeune homme un portrait trop vif de certaines choſes, parce qu’il n’a pas l’eſprit de les bien digerer. C’eſt dequoi je m’aperçus bien, d’abord que la raiſon me fut venuë ; mais en attendant je fis quantité de fautes pour vouloir m’attacher au pied de la lettre à ce qu’on m’avoit dit. D’abord que je vis que l’on me regardoit entre deux yeux, je pris ſujet de-là de quereller les gens, ſans qu’ils euſſent deſſein néanmoins de me faire aucune injure. Cela m’arriva la première fois entre Blois & Orléans : ce qui me couta un peu cher, & qui devoit bien me rendre ſage. Comme le bidet que j’avois étoit fatigué du voyage, & qu’à peine avoit-il la force de pouvoir lever la queuë, un Gentilhomme de ce Païs-là me regarda moi & mon équipage d’un œil de mépris. Je le reconnus bien à un ſouris qu’il ne ſe pût empêcher de faire à trois ou quatre perſonnes avec qui il étoit, car c’étoit dans une petite Ville nommée St. Alié, que cela arriva, il y étoit allé ; à ce que j’apris depuis, pour y vendre des bois, & il étoit avec le Marchand à qui il s’étoit adreſſé pour cela, & avec le Notaire qui en avoit paſſé le marché. Ce ſouris me fut ſi deſagreable