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Page:Courtilz de Sandras - Mémoire de Mr d’Artagnan, tome premier, 1700.djvu/16

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& peut-être eut-il été aſſez empêché à lee faire, lors que je me ſentis accablé de coups de fourche & de bâton. Deux de ceux qui étoient avec lui, & dont l’un avoit en main un bâton qui ſert ordinairement à meſurer les bois, furent les premiers qui me chargèrent, pendant que les deux autres ſe furent fournir d’autres armes, dont ils prétendoient m’attaquer. Comme ils me prirent par derrière, je fus bien-tôt hors de combat. Je tombai même à terre le viſage tout plein de ſang, d’une bleſſure qu’ils m’avoient faite à la tête. Je criai à Roſnai, voyant l’inſulte qu’on me faiſoit, que cela étoit bien indigne d’un honnête homme, comme je l’avois cru d’abord, que s’il avoît un peu d’honneur, il étoit impoſſible qu’il ne ſe fit quelque reproche de ſouffrir qu’on me maltraitât de la ſorte ; que je l’avois pris pour un Gentilhomme, mais que je voyois bien à ſon procédé, qu’il en étoit bien éloigné, que tel cependant qu’il pût être, il feroit bien de me faire achever pendant que j’étois ſous ſa puiſſance, par ce que ſi j’en ſortois jamais, il trouveroit un jour à qui parler. Il me répondit, qu’il n’étoit pas cauſe de cet accident que je m’étois attiré par ma faute ; que bien loin d’avoir commandé à ces gens-là de me maltraiter comme ils avoient fait, il en étoit au deſeſpoir, que j’euſſe cependant à profiter de cette correction & en être plus ſage à l’avenir.

Ce compliment me parut tout auſſi peu honnête que ſon procédé. Si j’en trouvai le commencement aſſez paſſable, la ſuite ne me le parut guéres. Cela fut cauſe que je lui fis encore d’autres menaces, tandis qu’au lieu des paroles que j’employois pour toutes armes, l’on me foura encore en priſon. Si j’euſſe toûjours eu mon épée, on ne m’y eut pas mené comme on faiſoit : mais ces hommes s’en étoient ſaiſis en me prenant par derrière, & l’avoient même caſſée en ma preſence, pour me faire encore un plus grand affront. Je ne ſçais ce qu’ils firent de mon bidet ni de mon linge que je n’ai jamais