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Page:Courtilz de Sandras - Mémoire de Mr d’Artagnan, tome premier, 1700.djvu/27

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ne les aperçûmes pas plutôt de loin que nous nous en réjoüimes, parce que comme il ſe faiſoit déjà tard, nous ne les attendions preſque plus. Nous nous avançâmes du côté de l’Iſle Maquerelle, au lieu d’aller au devant d’eux, afin de nous éloigner davantage du monde, qui ſe promenoit de leur côté, nous gagnâmes ainſi un petit fonds d’où ne voyant plus perſonne, nous les y attendimes de pied ferme.

Ils ne tarderent guéres à nous joindre, & Bernajoux qui avoit une groſſe Mouſtache, comme c’étoit la mode en ce tems-là d’en porter, voyant que Juſſac, Biſcarat & Cahuſac choiſiſſoient les trois Freres pour avoir affaire à eux, tandis qu’ils ne lui laïſſoient que moi pour l’amuſer, lui demanda, s’ils ſe moquoient de lui de vouloir qu’il n’eut affaire qu’à un enfant. Je me trouvai piqué de ces paroles, & lui aiant répondu que les enfans de mon âge & de mon courage en ſçavoient bien autant que ceux qui les mépriſoient, parce qu’ils avoient deux fois moins d’âge qu’eux, je mis l’épée à la main pour lui montrer que je ſçavois joindre l’effet aux paroles. Il fut obligé de tirer la ſienne pour ſe défendre, voyant que de la maniére que je m’y prenois, je n’avois pas envie de le marchander. II m’allongea même quelque coups aſſez vigoureuſement, prétendant qu’il ne ſeroit guéres à ſe défaire de moi. Mais les ayant parez avec beaucoup de bonheur, je lui en portai un par deſſous le bras, dont je le perçai de parc en part. Il fut tomber à quatre pas de-là, je crus qu’il étoit mort, & étant allé à lui pour lui donner remede, s’il en étoit encore tems, je vis qu’il me preſentoit la pointe de l’épée, croyant apparemment que je ſerois aſſez fou pour m’y aller enfiler moi-même. Je jugeai bien par-là, qu’on pouvoit encore le ſecourir : Ainſi comme j’avois été élevé chrétiennement, & que je ſçavois que la perte de ſon ame étoit la choſe la plus terrible qu’il lui pût jamais arriver, je lui criai de loin