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Page:Courtilz de Sandras - Mémoire de Mr d’Artagnan, tome premier, 1700.djvu/295

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le croyois, j’avois peine à me deffaire de mon ſentiment pour m’accommoder au ſien, je lui dis que s’il vouloit me donner permiſſion d’aller reconnoître le Fort, je lui raporterois bien-tôt ſi c’étoit lui ou moy qui ſe trompoit. Il me dit que ce n’etoit pas à lui à qui je le devois demander, puis qu’il avoit là un ſupérieur, que je pouvois lui aller dire ma penſée, & qu’il ne doutoit point qu’il ne me l’accordât ; du moins que ſi c’étoit lui il ne me refuſeroit pas, parce que ſi ce que je penſois ſe trouvoit vrai on pouroit profiter plus utilement du reſte de la nuit, que l’on ne feroit, ſi l’on ne s’occupoit que d’un travail inutile. Je trouvai qu’il avoit raiſon de ne pas vouloir faire le maître, où il n’avoit pas droit de l’être ; ainſi ayant ſuivi ſon avis, je fus demander à Mr. de la Selle qui étoit Lieutenant dans nôtre Regiment & qui commandoit là ce que je venois de demander au ſergent. Il me répondit qu’il le vouloit bien, & m’ayant donné un autre cadet avec moi nommé Mainville pour m’y accompagner, à peine fus-je décendu de la demie-Lune que je le vis diſparoître comme un éclair. Il remonta même en même-tems dans la demie-Lune, où il fut dire que j’étois tombé entre les mains d’un petit corps de Garde, qui m’avoit tué auſſi-tôt à coups d’épée. Mr. de la Selle en fut bien fâché, & eût bien voulu ne m’avoir pas accordé la permiſſion que je lui avois demandée. Il la regardoit comme la cauſe de ma mort, & ne ſavoit comment s’en diſculper envers Mr. des Eſſarts, dont il apprehendoit le reſſentiment, parce qu’il n’ignoroit pas qu’il n’eût quelque ſorte de conſideration pour moi. Je n’étois pas neanmoins tant à regretter qu’il penſoit. Mainville ne lui avoit fait accroire ma mort que pour mieux couvrir la lâcheté qu’il avoit euë de ne pas oſer me ſuivre. Comme il n’étoit pas homme de grand jugement non plus que de grand cœur, il n’avoit pas jugé que ce Fort dût être abandonné, ſur tout après que je diſois moi-même avoir pourſuivi un homme, lorſque j’étois