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Page:Courtilz de Sandras - Mémoire de Mr d’Artagnan, tome premier, 1700.djvu/340

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deux Mouſquetaires qui fuſſent Gentilshomme, & qui n’euſſe que la cape & l’épée, afin qu’il lui euſſent obligation de leur fortune. Mr. de Treville qui avoit toujours de la bonté pour moi, me choiſit ſans heſiter pour me preſenter à lui, & étant un peu plus retenu ſur le choix de l’autre, il tomba à la fin ſur Beſmaux qui étoit entré quelque-tems après moi dans les Mouſquetaires. Nous crumes tous deux nôtre fortune faite quand nous nous vîmes ainſi apellez ſi heureuſement auprès du Miniſtre. Chacun qui eut été à nôtre place l’eut cru auſſi bien que nous, mais comme il y avoit bien à dire qu’il fut auſſi bien faiſant que l’avoit été le Cardinal de Richelieu, nous languimes long-tems devant que de voir réüſſir nos eſperances. Bien loin de nous faire le bien que nous prétendions, tout ce que la nouvelle qualité que nous eumes de ſes Gentilshommes nous procura fut qu’il nous employa à des courſes pour récompenſe deſquelles il nous fit donner des ordonnances, tantôt de cinq cens écus, tantôt de cent piſtoles, & tantôt de moins. Or comme il en falloit dépenſer une bonne partie, ce qui nous en reſtoit étoit ſi peu de choſe, que nous ſentions toûjous ce que nous étions. Je veux dire par-là que ſi nous avions des bas nous n’avions pas de ſouliers, principalement Beſmaux qui n’avoit pas trouvé la même reſſource que moi dans le jeu, & qui ne m’avoit pas encore rendu l’argent que je lui avois prêté.

Cependant je devins bien-tôt tout auſſi miſerable que lui, la fortune me tourna le dos tout d’un coup, & je commençay à perdre tout ce que j’avois, ainſi comme je me voyois déchû de mes prétentions par l’avarice de mon nouveau maître, il arriva que lorſque je croyois devoir être le mieux, ce fut juſtement lorſque je me trouvai le plus mal. Je fus ben-tôt dénué de toutes choſes par les pertes que j’entaſſay les unes ſur les autres, & comme un joüeur tel que je l’étois devenu par accident, quoi