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Page:Courtilz de Sandras - Mémoire de Mr d’Artagnan, tome premier, 1700.djvu/430

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fit réponſe que quoique les Indes fourniſſent à l’Eſpagne des treſors que la France n’avoit pas, comme nôtre Couronne l’avoit toûjours emporté par deſſus l’autre, il falloit tâcher encore que ce fut la même choſe en cette occaſion ; qu’ainſi je n’y épargnaſſe rien, & que je n’en ſerois point dedi, quelque dépenſe que j’y euſſe faite. J’avois déja offert mes vingt mille écus pour les gagner. Ils avoient traité cela de bagatelle, & il faloit bien que l’Eſpagne chantât ſur un autre ton, puiſqu’il me mépriſoit ſi fort : mais enfin cette lettre me parlant en termes ſi précis que je croiois pouvoir aller juſqu’à cent mille écus, s’il en étoit beſoin, j’en fus quitte à meilleur marché, puiſque moyennant ſoixante mille, je les fis convenir de faire tout ce que voudroit Mr. le Cardinal. Je le mandai à ſon Eminence ; me tenant tout fier de la victoire que je remportois ſur l’Ambaſſadeur ; mais la réponſe que j’en reçûs, au lieu de me réjoüir, eut dequoi me mortifier étrangement. Il me manda que de la maniere que j’en uſois, il s’étonnoit comment avec les ſoixante mille écus je n’avois pas encore promis la Couronne du Roi mon maître, qu’il n’avoit que faire de leur amitié à ce prix-là, & qu’il aimoit mieux s’en paſſer que de l’acheter ſi cher. Il m’ordonna en même-tems de m’en revenir, & n’en voulant rien faire que je ne me fuſſe diſculpé auparavant à ces trois Meſſieurs de mon manquement de parole, je le fis du mieux que je pus, quoi que j’y fuſſe bien empêché.

Quand je fus de retour à Paris, & que je voulus porter dans mon compte à ſon Eminence la dépenſe que j’avois faite pour les traiter, elle me dit que je me moquois d’elle & me la raya ; elle me dit auſſi que s’il faloit qu’elle payât tous les feſtins qu’il plairoit à ſes Domeſtiques de donner, le revenu du Roi n’y ſuffiroit pas, que c’étoit à ceux qui convioient les autres à danſer à payer les violons, &