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Page:Courtilz de Sandras - Mémoire de Mr d’Artagnan, tome premier, 1700.djvu/89

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avoit couché qu’une ſeule nuit, que j’en étois cauſe apparemment, qu’il m’apprehendoit comme la mort, ſur tout depuis qu’il avoit appris les deux combats que j’avois faits, qu’il jugeoit de là que je lui ferois mal paſſer ſon tems, ſi je venois jamais à le joindre, que le meilleur conſeil qu’il eut cependant à me donner, étoit de me tenir ſur mes gardes, parce que comme il étoit riche, il étoit homme à ne pas épargner l’argent, pour ſe mettre à couvert de ce qu’il apprehendoit. C’étoit me dire en peu de mots, qu’il étoit homme à me faire aſſaſſiner, ce que j’eus peine à croire, parce que naturellement je juge aſſez bien de mon prochain : en effet, je n’ai jamais pû me mettre en tête, qu’on ſe puiſſe porter à une ſi grande méchanceté, qui eſt indigne non ſeulement d’un honnête homme, mais encore d’un homme qui n’en auroit que l’apparence. Je ſavois d’ailleurs, que bien loin de lui avoir jamais fait quelque mal, c’étoit lui au contraire qui m’avoit offenſé ſi cruellement, que s’il pouvoit jamais être permis d’en venir à cette extrémité, c’etoit à moi à le faire & non pas à lui.

Quoi qu’il en ſoit, dormant en repos ſur la foi de ma conſcience, je crus ſi bien que ce que me mandoit Montigré n’étoit que l’effet de la haine qui regne entre deux perſonnes qui ont procès enſemble, que je n’en eus pas un moment d’inquiétude. Je lui fis réponſe, cependant, pour le remercier de ſon avis, comme ſi je l’euſſe crû véritable, quoi que je n’y ajoûtaſſe aucune foi. Je le priois par cette lettre de me mander s’il croyoit qu’il fût à Paris, afin que ſoit qu’il me voulût du mal ou non, je pûſſe toûjours en le prévenant, mais en galant homme & non pas en aſſaſſin, lui faire voir que quand une fois on avoir reçû un affront pareil à celui qu’il m’avoit fait, on ne le pouvoit oublier, qu’on ne ſe fût mis en état auparavant d’en tirer vengeance. La réponſe que m’y fit Montigré, fut qu’il en avoit pris le chemin, & que perſonne ne m’en pouvoit dire