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Page:Crébillon (Fils) - Le Sopha.djvu/104

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LE SOPHA

peut-être, que par ignorance que nous nous y sommes mépris : plût au ciel ! Mais s’il est vrai (comme je crains bien) que la seule envie de nous exagérer nos triomphes, ou de croire seulement que nous en remportions, nous ait trompés là-dessus, dans quelle coupable erreur n’avons-nous pas vécu ? Nous nous sommes flattés d’être vertueux pendant que nous étions peut-être plus imparfaits que ceux que nous osions blâmer, et que notre vanité nous donnait même un vice de plus qu’à eux.

— « Cela est vrai, dit Almaïde ; vous venez de faire là une affligeante réflexion !

— « Ce n’est pas d’aujourd’hui qu’elle me tourmente, répliqua-t-il d’un air triste, et d’autant plus que, pour me guérir de mes doutes, je ne vois qu’un moyen qui, tout simple qu’il est, ne laisse pas d’être dangereux.

— « Voyons toujours, lui demanda-t-elle ; comme je suis précisément dans le même cas que vous, j’ai l’intérêt du monde le plus pressant à savoir ce que vous avez pensé.

— « Il faut vous connaître comme je fais, répondit-il, pour ne pas craindre de vous le dire. Nous nous croyons vertueux, vous et moi ; mais, comme je vous le disais tout à l’heure, nous ne savons réellement ce qui en est, et vous n’en allez pas douter. En quoi consiste la vertu ? Dans la privation absolue