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PRÉFACE

entrât dans la compagnie. Ils perdirent leurs peines.

Le jeune homme était attiré vers le théâtre. Il eut ses entrées à la Comédie-Française, les acteurs considérant que cette faveur était bien due au fils du grand tragique. Mais il fréquenta surtout le Théâtre Italien et s’y lia avec le célèbre Riccoboni ; il mit la main à des parodies d’opéras. Il fit partie d’une société littéraire composée de jeunes nobles, qui s’appelait l’Académie de ces Messieurs, et s’exerça dans la poésie légère. Puis il donna au public Tanzaï et Les Égarements du Cœur et de l’Esprit.

Aussitôt il fut célèbre. Heureux temps où quelques grivoiseries, galamment présentées dans un livre coquet, suffisaient à illustrer un écrivain débutant.

Le succès de ces menus ouvrages retentit hors de France. Une Anglaise, riche, noble et belle, s’amouracha du romancier licencieux, au point qu’elle passa la Manche pour le lui dire. Elle fit mieux, elle lui offrit sa main avec sa fortune dedans. Voilà un romanesque qui paraîtrait un peu forcé dans un conte bleu ou rose de l’époque et c’est pourtant un épisode de la vie invraisemblable que vécut l’auteur du Sopha. Et ceci complète le paradoxe : le romancier qui ménagea si peu dans ses écrits les réputations des marquises et des caillettes, crut à la vertu de sa femme bien que cette belle se fût proprement jetée à sa tête, et que son goût pour les Égarements du Cœur et de l’Esprit ne témoignât