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LE SOPHA

(c’est le nom du conteur), c’est-à-dire, pour ne point embarrasser mal à propos Votre Majesté, que nous croyons qu’au sortir d’un corps notre âme passe dans un autre, et ainsi successivement, tant qu’il plaît à Brahma, ou que notre âme soit devenue assez pure pour être mise au nombre de celles qu’enfin il juge dignes d’être éternellement heureuses.

— Mon cher ami, dit alors le Sultan, Mahomet me pardonne si ce n’est pas de la morale ce que vous venez de me dire !

— Sire, répondit Amanzéi, ce sont des réflexions préliminaires, qui, je crois, ne sont pas inutiles.

— Fort inutiles, c’est moi qui le dis, répliqua Schah-Baham. C’est que, tel que vous me voyez, je n’aime pas la morale, et que vous m’obligerez beaucoup de la laisser là.

— J’exécuterai vos ordres, répondit Amanzéi ; il me reste cependant à dire à Votre Majesté que Brahma permet quelquefois que nous nous souvenions de ce que nous avons été, surtout quand il nous a infligé quelque peine singulière ; et ce qui le prouve, c’est que je me souviens parfaitement d’avoir été sopha.

— Un sopha ! s’écria le Sultan.

— Oui, Sire, répondit Amanzéi : le premier sopha dans lequel mon âme entra était couleur de rose, brodé d’argent.

— Tant mieux ! dit le Sultan ; vous deviez