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LE SOPHA

touché de cette marque de dépit, reprit ainsi son discours :

— « Vous convenez que vous avez pris Nassès ; un autre vous dirait que communément une femme ne s’engage dans une nouvelle affaire que quand celle qu’elle avait est entièrement rompue, et là-dessus il vous accablerait de tout le mépris qu’en apparence semble mériter cette conduite : pour moi, qui ai assez d’usage du monde pour sentir comment cela s’est fait, loin de vous en savoir mauvais gré, je vous en aime davantage.

— « Ce n’était cependant pas l’effet que je voulais produire sur votre cœur ! répondit-elle.

— « Vous n’en pouvez rien savoir, répliqua-t-il ; dans le trouble où vous étiez, était-il possible que vous démêlassiez les motifs qui vous faisaient agir ? Vous me croyiez inconstant, on vous pressait de vous venger ; si vous m’aviez moins aimé, vous ne l’auriez pas fait, et Nassès aurait tenté vainement de vous mener aussi loin qu’il l’a fait. Il n’appartient, croyez-moi, qu’à la passion la plus vive d’inspirer ces mouvements qui ne laissent pas aux réflexions le temps ou la liberté d’agir. Je ne saurais assez m’étonner que Nassès ait été assez peu délicat pour vouloir profiter du moment où vous vous trouviez, ou assez aveuglé pour ne pas voir que, même entre ses bras, vous étiez toute à un autre, et que,