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LE SOPHA

livre, pour prendre celui qu’elle avait tiré de l’armoire secrète, et qui était un roman dont les situations étaient tendres et les images vives.

Il me parut que ce livre l’animait ; ses yeux devinrent plus vifs ; elle le quitta, moins pour perdre les idées qu’il lui donnait que pour s’y abandonner avec plus de volupté. Revenue enfin de la rêverie dans laquelle il l’avait plongée, elle allait le reprendre, lorsqu’elle entendit un bruit qui le lui fit cacher. Elle s’arma, à tout événement, de l’ouvrage du Brahmine ; sans doute elle le croyait meilleur à montrer qu’à lire.

« Un homme entra, mais d’un air si respectueux, que, malgré la noblesse de sa physionomie et la richesse de ses vêtements, je le pris d’abord pour un des esclaves de Fatmé. Elle le reçut avec tant d’aigreur, lui parla si durement, parut si choquée de sa présence, si ennuyée de ses discours, que je commençais à croire que cet homme si maltraité ne pouvait être que son mari. Je ne me trompais pas. Elle rejeta longtemps, et avec aigreur, les instantes prières qu’il lui fit de le laisser auprès d’elle, et n’y consentit enfin que pour l’accabler de l’importun détail des fautes qu’elle prétendait qu’il commettait sans cesse. Ce mari, le plus malheureux de tous les époux d’Agra, reçut cette impatiente correction avec une douceur dont je m’indignais pour