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LE SOPHA

vous puissiez plaire ? D’ailleurs, quand vous n’en retrouveriez pas un aussi riche, croiriez-vous pour cela être malheureuse ? Non, ma fille ; où l’espèce manque, il faut se dédommager par le nombre. Si quatre ne suffisent pas pour le remplacer, prenez-en dix, plus même s’il le faut. Vous me direz peut-être que cela est sujet à des accidents : cela est vrai ; mais quand on ne se met au-dessus de rien, que l’on craint tout, on reste dans l’infortune et dans l’obscurité. »

« Quelque envie qu’Amine eût de mettre à profit ces sages conseils, l’abandonnement où elle était ne lui permit pas de s’en servir aussi tôt qu’elle l’aurait voulu. Son aventure avec Abdalathif lui avait si bien donné, dans Agra, la réputation d’une personne peu sûre dans le commerce, que, hors le fidèle Massoud, de qui la tendresse était à l’épreuve de tout, je ne vis chez elle, pendant longtemps, que quelques-unes de ses compagnes qui venaient la voir, plutôt sans doute pour jouir de son malheur que pour l’en consoler.

« Le temps, qui efface tout, effaça enfin la mauvaise opinion qu’on avait d’Amine. On la crut changée, on imagina que les réflexions qu’on lui avait laissé le temps de faire l’auraient guérie de la fureur d’être infidèle. Les amants revinrent. Un seigneur persan, qui arriva dans ce temps à Agra, et qui n’en