Page:Crébillon - Théâtre complet, éd. Vitu, 1923.djvu/228

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Cruelle ! Si l’amour vous éprouve inflexible,
À ma triste amitié soyez du moins sensible.
Mais quels sont vos malheurs ? Captive dans des lieux
Où l’amour soumet tout au pouvoir de vos yeux,
Vous ne sortez des fers où vous fûtes nourrie,
Que pour vous asservir le grand roi d’Ibérie.
Et que demande encor ce vainqueur des romains ?
D’un sceptre redoutable il veut orner vos mains.
Si, rebuté des soins où son amour l’engage,
Il s’est enfin lassé d’un inutile hommage,
Par combien de mépris, de tourments, de rigueur,
N’avez-vous pas vous-même allumé sa fureur !
Flattez, comblez ses vœux, loin de vous en défendre ;
Vous le verrez bientôt plus soumis et plus tendre.

Zénobie

Je connais mieux que toi ce barbare vainqueur,
Pour qui, mais vainement, tu veux fléchir mon cœur.
Quels que soient les grands noms qu’il tient de la victoire,
Et ce front si superbe où brille tant de gloire ;
Malgré tous ses exploits, l’univers à mes yeux
N’offre rien qui me doive être plus odieux.
J’ai trahi trop longtemps ton amitié fidèle :
Il faut d’un autre prix récompenser ton zèle,
Me découvrir. Du moins, quand tu sauras mon sort,
Je ne te verrai plus t’opposer à ma mort.
Phénice, tu m’as vue, aux fers abandonnée,
Dans un abaissement où je ne suis point née.
Je compte autant de rois que je compte d’aïeux,
Et le sang dont je sors ne le cède qu’aux dieux.
Pharasmane, ce roi qui fait trembler l’Asie,
Qui brave des romains la vaine jalousie,
Ce cruel dont tu veux que je flatte l’amour,
Est frère de celui qui me donna le jour.
Plût aux dieux qu’à son sang le destin qui me lie
N’eût point par d’autres nœuds attaché Zénobie !
Mais à ces nœuds sacrés joignant des nœuds plus doux,
Le sort l’a fait encor père de mon époux,
De Rhadamisthe enfin.

Phénice

De Rhadamisthe enfin.Ma surprise est extrême :
Vous, Zénobie ! ô dieux !

Zénobie

Vous, Zénobie ! ô dieux !Oui, Phénice, elle-même,
Fille de tant de rois, reste d’un sang fameux,
Illustre, mais, hélas ! Encor plus malheureux.