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Page:Crébillon - Théâtre complet, éd. Vitu, 1923.djvu/370

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Mais avant que d'ouvrir cet abîme à tes yeux,
Dis-moi, d'un grand dessein te sens-tu bien capable ?
Ton âme au repentir est-elle inébranlable ?
Je connais ta valeur, j'ai besoin de ta foi :
Tysapherne, en un mot, puis-je compter sur toi ?
Examine-toi bien, rien encore ne t'engage.

Tysapherne.

D'où peut naître, Seigneur, ce soupçon qui m'outrage ?
Tant de bienfaits sur moi versés avec éclat,
Vous font-ils présumer que je sois un ingrat ?

Artaban.

Je ne fais point pour toi ce que je voudrais faire ;
Xerxès souvent lui-même a soin de m'en distraire ;
Il voit notre union avec quelque regret :
Je te dirai bien plus, il te hait en secret.

Tysapherne.

Ah ! Seigneur, que Xerxès ou me haïsse ou m'aime,
Tysapherne pour vous sera toujours le même.
Vous pouvez disposer de mon cœur, de mon bras :
J'affronterais pour vous le plus affreux trépas.

Artaban.

Ami, c'en est assez, ne crois pas que j'en doute ;
Mais prends garde qu'ici quelqu'un ne nous écoute.

Tysapherne.

Ces lieux furent toujours des Perses révérés,
Nul autel n'a pour eux des titres plus sacrés.
Xerxès, par vos emplois, vous en a rendu maître ;
Quel mortel, sans votre ordre, oserait y paraître ?

Artaban.

N'importe ; craignons tout d'un perfide séjour,
On n'observe que trop mes pareils à la cour.
Xerxès vient de nommer Artaxerce à l'empire,
C'est moi qui l'ai forcé, malgré lui, de l'élire.
J'ai fait craindre à ce roi, facile à s'alarmer,
Cent périls pour un fils qui l'a trop su charmer ;
Et jaloux d'un héros qu'idolâtre la Perse,
J'ai fait, par mes conseils, couronner Artaxerce ;
Pour mieux y réussir, j'ai pris soin d'éloigner
Celui que tant de droits destinaient à régner.
Tandis que Darius, chez des peuples barbares,
Nous force d'admirer les exploits les plus rares,
Je ne peins à Xerxès ce fils si vertueux,
Qu'avide de régner, cruel, impétueux ;
Du bruit de sa valeur, du prix de ses services,
D'un père qui le craint je nourris les caprices ;