Page:Crébillon - Théâtre complet, éd. Vitu, 1923.djvu/474

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Rome, il ne manque plus, pour combler ta misère,
Que d’y tracer le nom de mon malheureux père,
Qu’on peut sans t’offenser nommer aussi le tien ;
Hélas ! après les dieux il est ton seul soutien.

À la statue de César.

Toi, qui fis en naissant honneur à la nature,
Sans avoir des vertus que l’heureuse imposture,
Trop aimable tyran, illustre ambitieux,
Qui triompha du sort, de Caton et des dieux,
Brutus, s’il est ton fils, a plus fait pour ta gloire
Que ce tigre adopté pour flétrir ta mémoire.
César, vois à quel titre il prétend t’égaler,
Mais c’est en proscrivant qu’il sait se signaler,
Sacrifie à nos pleurs ce successeur profane,
Si ton coeur l’a choisi ta gloire le condamne ;
Ce n’est pas sous son nom qu’un glorieux burin
Enchaînera jamais et la Seine et le Rhin ;
Sous un joug anobli par l’éclat de tes armes
Nous respirions du moins sans honte et sans alarmes,
Loin de rougir des fers qu’illustrait ta valeur,
On se croyait paré des lauriers du vainqueur ;
Mais sous le joug honteux et d’Antoine et d’Octave,
Rome arbitre des rois va gémir en esclave.
Quel spectacle nouveau vient me remplir d’effroi ?

À la statue de Pompée.

Ah ! Pompée, est-ce là ce qui reste de toi ?
Misérables débris de la grandeur humaine,
Douloureux monument de vengeance et de haine !
Plus on dispersera vos restes immortels
Et plus vous trouverez et d’encens et d’autels ;
Et toi digne héritier d’un nom que Rome adore,
Héros qu’en ses malheurs chaque jour elle implore,
Pour nous venger d’Octave, accours, vaillant Sextus,
À ce nouveau César, sois un nouveau Brutus.
Octave est si cruel qu’il rendrait légitime
Ce qui même à ses yeux pourrait paraître un crime...
Mais dans l’obscurité qu’est-ce que j’entrevois ?
Hélas, que je le plains ! c’est le chef des Gaulois ;
Tandis que pour mon père il expose sa vie,
Mon père pour jamais va lui ravir Tullie.