Page:Crémazie - Œuvres complètes, 1882.djvu/238

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nant à Belleville. J’ai une bonne chambre. J’ai dans mon professeur[1] un compagnon avec lequel je passe une ou deux heures de la soirée, soit à jouer aux dominos, soit à causer ; ce qui me distrait un peu. Pour ce qui est de M. S., je serais bien heureux de le revoir, mais il vaut mieux ne pas lui donner mon adresse. Sa vue rouvrirait chez moi bien des blessures qui sont à peine fermées.

Après bien des souffrances et des combats, je suis parvenu à accepter avec résignation l’isolement où mes fautes m’ont placé. Le Canada, les amis d’autrefois, tout cela je le chasse de ma pensée pour concentrer toutes mes affections sur ma mère et mes deux frères. Le reste n’existe plus pour moi. Demain vous me diriez que F. E. est à Paris que je ne voudrais pas le voir. Pourtant il a été le meilleur de mes amis, mais sa vue briserait toute ma force de résignation et renouvellerait toutes les douleurs des premiers jours de mon exil.

Donc ne dites rien à M. S. de l’endroit où je vis. Si vous en avez l’occasion, remerciez-le de son affection pour moi. Encore une fois, il vaut mieux que je ne le rencontre point. Si jamais je dois retourner au pays, j’aurai tout le temps de revoir mes amis ; si je dois rester toujours en exil, mieux vaut qu’ils soient morts pour moi comme je suis mort pour eux…

Votre pauvre enfant.
  1. Probablement M. Cavenagh, professeur de langues.