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journal du siège de paris.

jambe de bois. Je vais donc me payer du thé pour éperonner mon cheval, qui fait une station beaucoup trop longue dans mon estomac. Dix heures. Je suis débarrassé des embarras que me causait la plus noble conquête que l’homme ait jamais faite, mais il vient de m’arriver un malheur. J’ai cassé mon sucrier, un magnifique sucrier qui m’avait bien coûté cinquante centimes (dix sous). En achèterai-je un autre ? Quand je me suis permis cette fantaisie d’un luxe asiatique, nous vivions sous le tyran. Aujourd’hui que nous avons l’ineffable bonheur de respirer sous la république une et indivisible, je me demande si les immortels principes de 89 permettent à un citoyen de se servir d’une faïence qui rappelle les plus mauvais jours du despotisme ! Comme je n’oserai jamais résoudre cette question pleine d’insondables profondeurs, je me contenterai à l’avenir d’un modeste sac en papier. Sur ce, bonsoir.

Lundi soir, 31 octobre. — Pluie toute la journée. Un déluge de mauvaises nouvelles. Bazaine a capitulé le 27 octobre. N’ayant plus de munitions ni de vivres, ayant mangé tous les chevaux de son armée, il a dû subir les rigoureuses conditions acceptées par Napoléon III à Sedan. Les Prussiens ont fait 173,000 prisonniers, comprenant les troupes de Bazaine et la garde nationale de Metz, 700 canons, 250,000 chassepots, etc. Il y a maintenant plus de 350,000 prisonniers français entre les mains des Allemands. L’histoire ne nous offre pas d’exemple d’une suite de dé-