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dernières lettres.

journal du siège. À cette date, j’ai dû cesser, car il m’était impossible, à cause du froid, de tenir une plume cinq minutes sans avoir l’onglée. Cependant j’ai continué, chaque jour, à prendre des notes au crayon, dans mon lit. Maintenant qu’il fait moins froid et que mon officier a mis sa chambre à ma disposition, je vais terminer mon journal en mettant au net les notes prises depuis le 19 décembre. Je vous l’expédierai aussitôt que mes moyens me permettront de payer le port, qui sera assez élevé, car ces notes couvriront plus d’une centaines de pages.

Chaque jour, j’ai acheté quand même le Petit journal, afin que vous puissiez avoir la collection complète de l’histoire du siège de Paris.

Tout est donc consommé. Bourbaki, dans l’Est, se suicide de désespoir ; au nord, Faidherbe perd la bataille de Saint-Quentin ; Chanzy, pour se dérober à la poursuite de Frédéric-Charles, est obligé de chercher un refuge derrière la Mayenne. Bombardé pendant vingt-trois jours, épuisé par la famine, qui enlève sept cents victimes par jour, Paris, voyant que tout espoir est perdu, est obligé de capituler. Mais, dans sa chute, la grande ville emporte du moins la consolation d’avoir donné au monde un spectacle unique dans l’histoire. Pendant cent trente-cinq jours, une population de deux millions d’habitants a souffert la faim, les maladies de toute espèce, le bombardement le plus effroyable. Au milieu de cette cataracte de calamités, pas une voix ne s’est élevée pour dire : Rendons-nous !