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octave crémazie

amis, sans distractions, sans cesse en face de lui-même, traînant au pied le boulet de l’exilé.

Un petit carreau de papier marqué au timbre d’Amérique, que lui apportait de temps en temps le facteur, une lettre de sa mère, de ses frères ou de quelque ami de là-bas, renfermait tout ce qui lui restait de bonheur et d’espérance sur la terre. Pendant qu’il les lisait et les relisait en les arrosant de ses larmes, il se transportait dans son cher Canada et revoyait en esprit tout ce qu’il aimait, tout ce qu’il avait perdu. Mais le quart d’heure de lecture fini, la vision s’évanouissait, la nuit se refermait sur ce rayon ; alors il retombait sur lui-même et se retrouvait plus seul que jamais dans son réduit désert.

Bien des fois, m’a-t-il dit souvent, si je n’avais eu une foi canadienne, je serais allé me pendre comme Gérard de Nerval au réverbère du coin, ou je me serais abandonné comme Henri Murger ; mais quand le noir m’enveloppait de trop près, quand je sentais le désespoir me saisir à la gorge et que le drap mortuaire semblait me tomber sur la tête, je courais à Notre-Dame-des-Victoires, j’y disais une bonne prière, et je me relevais plus fort contre moi-même. Je ne suis pas un dévot, mais je suis un croyant.

— Quelles distractions vous donnez-vous ?

— J’expédie ma petite besogne, quand j’en ai, et puis j’arpente l’asphalte, je flâne sur les boulevards, je bouquine pour mon frère, à qui j’expédie de temps à autre des caisses de livres pour sa librairie. Parfois je