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octave crémazie

il a bu jusqu’à la lie la coupe amère de l’exil ; et il a emporté avec lui la cruelle pensée que sa patrie ne lui donnerait pas même l’aumône d’un tombeau : cette patrie qu’il avait tant aimée et qu’il avait chantée en si beaux vers.

Il nous faut quelque chose, en cette triste vie,
Qui nous parlant de Dieu, d’art et de poésie,
Nous élève au-dessus de la réalité ;
Quelques sons plus touchants, dont la douce harmonie,
Écho pur et lointain de la lyre infinie,
Transporte notre esprit dans l’idéalité.

Or, ces sons plus touchants et cet écho sublime
Qui sait de notre cœur le sanctuaire intime,
C’est le ciel du pays, le village natal ;
Le fleuve au bord duquel notre heureuse jeunesse
Coula dans les transports d’une pure allégresse ;
Le sentier verdoyant où, chasseur matinal,

Nous aimions à cueillir la rose et l’aubépine ;
Le clocher du vieux temple et sa voix argentine ;
Le vent de la forêt glissant sur les talus,
Qui passe en effleurant les tombeaux de nos pères
Et nous jette, au milieu de nos tristes misères,
Le parfum consolant de leurs nobles vertus.


Un quart de siècle auparavant, Crémazie avait prophétisé sa propre destinée lorsqu’il avait dit :

Loin de son lieu natal, l’insensé qui s’exile,
Traîne son existence à lui-même inutile.
Son cœur est sans amour, sa vie est sans plaisirs.
Jamais, pour consoler sa morne rêverie,
Il n’a devant les yeux le ciel de la patrie
Et le sol sous ses pas n’a point de souvenirs


À sa dernière heure, il n’a pas même eu la consolation de voir un seul de ses compatriotes à ses côtés ;