Page:Crémieux et Halévy - La Chanson de Fortunio, 1868.djvu/28

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FRIQUET.

Eh bien ! le lui as-tu dit ?

VALENTIN.

Je ne le lui dirai jamais, parce que je n’oserai pas, parce qu’elle ne m’écouterait pas, et j’en mourrai.

FRIQUET.

Veux-tu bien te taire et chasser ces idées-là. Ah ! pauvre Valentin ! Je suis bien petit, vois-tu, mais je les connais déjà les femmes. Oh ! j’ai vécu, moi ! oh ! j’ai aimé, moi !

VALENTIN.

Toi ?

FRIQUET.

Oui, et trois femmes ! dans la même journée. — Une duchesse d’abord belle… belle ! avec des robes de satin broché qui froufroutaient… et des parfums qui vous montaient au cerveau… et un hôtel qui faisait le tour de la rue… Un matin je lui porte un acte à signer ; elle était seule, je me jette à ses pieds et je lui dis : je vous aime ! Elle m’a fait flanquer à la porte par un grand laquais tout en or. Vois-tu, Friquet, ai-je pensé, les grandes dames ça n’est pas ton affaire. J’avais remarqué, au coin de notre rue, une jolie petite horlogère, j’entre dans sa boutique, et je lui dis : Madame, je viens faire remettre un verre à ma montre. — Il n’est pas cassé, me répond- elle. — Non, mais je vous aime. Cette fois, j’ai été reflanqué à la porte par le mari, un brutal, qui était dans l’arrière-boutique. Je revenais donc ici bien triste, quand je rencontre Babet, notre cuisinière, Je la trouve très-appétissante ; je me précipite dans sa cuisine et je lui dis : Tant pis, Babet, je t’aime ! Brave fille, celle-là ! Elle n’a appelé personne. Elle m’a flanqué à la porte elle-même… ou plutôt elle m’y a balayé !… Voilà les femmes !!!

VALENTIN.

Pauvre garçon !

FRIQUET.

Vois-tu, il n’y a qu’une chose au monde, le travail ; ça abrutit, mais cela occupe. Il y a bien les livres, mais je n’aime pas les livres, je ne trouve pas ça assez naturel ; cependant ça endort, Allons, travaillons, veux-tu commencer ici même, à l’instant ? Le patron est sorti, nous serons mieux qu’à l’étude ?