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LA RAGOTINIÈRE.

C’est tout.

L’AUBERGISTE, très-étonné.

Ah ! c’est bien, on va servir monsieur. (Il va à un bahut et rapporte à La Ragotinière du pain du sel et de l’eau. Il le sert à une petite table, placée à une extrémité du théâtre. La grande table des comédiens est de l’autre côté.)

LA RANCUNE, aux comédiens qui ont écouté sans mot dire la scène précédente.

Il est singulier que ce régime-là ne l’ait pas fait maigrir.

LA RAGOTINIÈRE, à l’aubergiste, lui montrant les comédiens.

Quels sont ces gens-là ?

L’AUBERGISTE.

Des comédiens de campagne de passage au Mans.

LA RAGOTINIÈRE.

Ah ! merci. (A part.) Elle ne peut être parmi eux. Une fille qui a trois cent dix-neuf quartiers de noblesse n’irait pas se commettre avec des comédiens de campagne.

LA RANCUNE, aux comédiens.

Je voudrais bien entrer en relations avec ce petit original-là ; sa dînette m’encourage.

LA RAGOTINIÈRE, poursuivant sa pensée à part, tout en mangeant son pain saupoudré de sel.

Elle ne peut être parmi eux ; mais ils ont pu la rencontrer. Il faut que je les fasse causer. (Son regard rencontre celui de la Rancune ; celui-ci se lève et le salue de sa place. — La Ragotinière lui rend son salut, puis tous deux se rassoient.)

LA RANCUNE, se relevant et resaluant.

Monsieur m’a fait l’honneur de m’appeler ?

LA RAGOTINIÈRE.

Moi, monsieur ? je n’appelle plus ; j’ai appelé, mais je n’appelle plus.

LA RANCUNE.

Ah ! (Il se rassied, puis se relève.) Monsieur, cette fois, m’a regardé ?…

LA RAGOTINIÈRE, se levant également.

Nullement, monsieur ; jadis, j’ai regardé, mais je ne regarde plus ; seulement, je ne peux empêcher mon œil navré d’errer machinalement de côté et d’autre.

LA RANCUNE.

C’est une affaire entre lui et vous. (A part.) Ça ne mord pas, ça ne mord pas !

OLIVETTE, qui s’est levée à son tour.

Monsieur ne parait pas voyager pour son plaisir ?

LA RAGOTINIÈRE.

Non. (Tous les comédiens et les comédiennes se lèvent un à un, et s’approchent de La Ragotinière.)