Aller au contenu

Page:Crépet - Les Poëtes français, t1, 1861.djvu/176

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
126
TREIZIÈME SIÈCLE.

ration flamande. Son style pur, sa forme recherchée, sa poésie polie et courtoise, pour ainsi dire, le soin extrême de sa composition, la minutie, la délicatesse un peu languissante de son observation, toutes ces qualités de fine rhétorique qui le distinguent, n’ont rien de brabançon. Elles offrent un contraste complet avec les produits contemporains de la muse flamande et wallonne.

La richesse et la recherche de sa phrase poétique attirèrent sur lui l’attention de tous ces princes amoureux des lettres, qui firent du xiiie siècle la plus brillante époque littéraire du moyen âge. Il sut, à l’aide d’une délicate et habile flatterie, conserver cette faveur des grands seigneurs. Il devint célèbre ; et comme il ne négligea aucune occasion de se nommer, il fut un de ceux dont le nom séduisit les premiers érudits qui songèrent à s’occuper de notre vieille poésie. On lui attribua un grand nombre d’ouvrages. Nous nous contenterons de citer les quatre poèmes suivants, les seuls qui lui appartiennent bien authentiquement : l'Enfance d’Ogier, Beuves de Comarchis, Cléomadès, Berte aux grands pieds.

C’est à cette dernière œuvre que nous allons emprunter une citation qui donnera, avons-nous dit, l’exemple de cet art plus fin, moins vigoureux, plus minutieux, et aussi plus psychologique, introduit dans l’épopée par l’emploi fréquent de l’élément féminin.

Pepin le Bref trompé par les artifices de Margiste, fait chasser Berte, sa jeune épouse, et donne ordre qu’on la tue. Les trois domestiques chargés d’exécuter cet ordre se laissent attendrir, et, au lieu de lui couper la tète, l’abandonnent dans une immense forêt.

Berte est au milieu du bois, elle entend les hurlements des loups, le cri des chats-huants, il fait grand vent, la pluie tombe et l’orage s’avance. C’est un temps hideux. La dame prie. Elle ne sait où aller. Elle regarde à droite et à gauche, et devant et derrière, puis elle s’arrête et elle pleure ; elle s’agenouille encore sur la terre et s’étend désespérée dans l’herbe épaisse, pour baiser le sol avec humilité. Elle pense à Blanchefleur, sa mère bien-aimée : « Ah ! Madame, si vous saviez où je suis maintenant, le cœur vous sauterait de la poitrine. Seigneur Dieu ! menez-moi en un lieu où mon corps ne soit pas honni. » Puis elle s’assied sous un arbre, son cœur devient de plus en plus douloureux ; elle tord ses très-belles mains blanches, car elle est belle, vermeille comme la rose, et blanche comme fleur de lis. Il faut cependant qu’elle cherche à sortir du bois, les épines déchirent sa robe, les branches atteignent son visage délicat : « Ah ! Fortune, comme vous me