Page:Crépet - Les Poëtes français, t1, 1861.djvu/443

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée




ALAIN CHARTIER


1390



Qui n’a lu que Marguerite d’Ecosse, la femme de Louis XI, déposa publiquement un baiser sur la bouche de maître Alain endormi, en disant qu’elle avait voulu baiser « la précieuse bouche de laquelle étaient « yssues et sorties tant de bons mots et de vertueuses paroles ? » C’est là peut-être ce qui a le plus servi à empêcher le nom d’Alain Chartier de tomber dans l’oubli. Vraie ou non, l’anecdote était piquante ; elle n’a été racontée par Jehan Bouchet, et adoptée par tous après lui, que parce qu’elle consacrait la valeur des œuvres et du rôle de notre poëte. Octavien de Saint-Gelais, un demi-siècle auparavant, exprimait mieux encore la grande estime où était de son temps le nom de Chartier, quand il le traitait de « haut et scientifique poëte.

Doux en ses faicts et plein de rhétorique,
Clerc excellent, orateur magnifique. »

L’éloge était mérité. En même temps que la science, Chartier a la dignité ; il ne demande l’effet qu’à des idées nobles et pures ; il ne cherche que la clarté dans l’expression, et la simplicité dans la phrase. Ce n’est pas un grand esprit, mais c’est un esprit juste, ami delà règle et de la mesure, qui ne vise pas à être brillant, mais à être solide, et qui fuit toute grossièreté dans les idées comme dans la forme. Il n’y a pas eu alors, et il n’y aura pas de longtemps un poëte aussi honnête homme, et c’est là ce qui a communiqué à sa parole et à sa pensée une autorité, attiré sur sa vie et sur son souvenir un respect, donné à son influence une durée, qu’il serait injuste et impossible de méconnaître. Aucun poëte du même temps n’a écrit avec plus de conscience, ne s’est plus efforcé d’élever la littérature à la hauteur sereine des idées philo-