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Page:Crépet - Les Poëtes français, t1, 1861.djvu/485

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GUILLAUME COQUILLART



Depuis trois siècles il nous faut une force singulière de génie pour sortir de l’imitation ; ceux qui écrivent connaissent aujourd’hui à peu près tout ce qu’on a écrit avant eux, parce que, s’ils n’étudient pas par eux-mêmes, ils reçoivent indirectement les influences de ce qui les précède et les entoure. A la fin du moyen âge français, au moment où apparaît dans la poésie la personnalité de l’écrivain, les conditions étaient différentes. L’étude ne s’était pas encore substituée à la tradition ; le passé s’oubliait, et le présent était mal connu. Avec les manuscrits, en effet, on lisait moins, et on ne relisait pas du tout. L’inspiration, plus restreinte en un sens, était plus présente, plus particulière, plus individuelle ; le rang et la condition sociale du poëte y apportaient une marque non-seulement vive, mais indélébile. Les œuvres postérieures peuvent ne rien indiquer sur l’auteur, qui tâche au contraire, le plus possible, de s’abstraire de ce qui l’entoure matériellement, pour arriver à une pensée plus générale, il est vrai, mais peut-être aussi plus vulgaire et plus creuse. En même temps, l’imprimerie facilite à la fois l’instruction de l’écrivain et la diffusion de l’œuvre par la création d’un public, et ce nouvel art, que l’on pourrait appeler une nouvelle forme de la pensée, fait que l’écrivain est uniquement auteur ; il ne s’estime plus qu’en cette qualité, et tout le reste n’est pour lui qu’un marchepied. Le point de vue et le but sont changés du tout au tout. On n’était pas auteur autrefois, au moins dans le sens moderne, parce que, si on n’écrivait pas uniquement pour soi, on n’avait de lecteurs et d’auditeurs que dans un public nécessairement restreint, et qui presque jamais ne se renouvelait La littérature n’était pas la vie tout entière d’un homme, mais seulement une partie de sa vie, ce qui don-