Le xviie siècle regardait Marot comme un classique des temps barbares ; de tous les écrivains qui avaient précédé Malherbe, il était le seul qui fût à la fois connu, nommé et estimé. D’autres, plus grands que lui, étaient, comme Ronsard, nommés et dédaignés ; comme Rabelais, nommés et méprisés ; comme Montaigne, estimés et jamais invoqués. D’autres, Villon, par exemple, furent nommés et jamais lus ; plusieurs enfin furent étudiés par Molière ou La Fontaine, par Régnier ou La Bruyère, par Auvray ou Gourval, sans que jamais leur nom ait arrêté l’attention de ceux qui lisaient leurs œuvres. Je dirai tout à l’heure les causes de l’honneur exceptionnel que l’orgueilleuse ignorance du xviie siècle accordait à Marot.
À cette heure il a profité des études faites sur le Moyen-Age ; sa réputation s’est encore augmentée. Si les érudits voulaient permettre aux professeurs de changer son orthographe et de remplacer quelques-uns de ses vers par des hémistiches en beau langage, je ne doute pas qu’il ne fût bientôt proposé pour modèle. Il a donc gardé cette avance de deux cents ans de gloire qu’il a sur un grand nombre de ses contemporains ou de ses prédécesseurs ; il commence à être entouré de ce nuage mythologique qui enveloppe toujours les classiques.
Ce brouillard, mystérieux et divin, analogue à celui que les poètes antiques mettent sous les pieds de leurs déesses, m’a toujours semblé aussi dangereux pour l’avenir d’une littérature qu’intolérable pour l’histoire. Il ne laisse plus voir qu’un point particulier, le point culminant et exceptionnel, le résumé fictif et arbitraire d’une pensée et d’une œuvre. Il remplace une physionomie par une auréole ;’il met une statue là où il y eut un homme, et dissimulant les traces du travail,