Page:Crépet - Les Poëtes français, t2, 1861.djvu/288

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de semblables livres sont marchandises prohibées, qu’on passe en contrebande et qu’on montre seulement en cachette. Est-ce à dire que les Bigarrures forment un mauvais livre ? Point du tout ; c’est presque un bon livre, un livre rempli de choses amusantes, curieuses et même instructives, au dire de plus savants que moi, du fameux philosophe Bayle, par exemple. En effet, ce volume est une espèce de petite arche conservatrice qui a sauvé du naufrage des âges les vrais types du vieil esprit français. Malheureusement, cette arche a relâché en des eaux fangeuses qui l’ont toute souillée. Le cynisme de maître Rabelais a dépeint sur maître Tabourot. Les plaisanteries au plus gros sel lui semblent de l’atticisme ; comme la coquette effrontée qui, pour séduire, foule aux pieds la pudeur, Tabourot, dans ses Bigarrures, devient obscène pour paraître ingénieux. Et il ne s’en cache point, il s’en vante. Le goût folâtre et les mœurs relâchées de son temps ne l’y autorisaient que trop. Lors de la quatrième édition de ses Bigarrures, (car, pour le dire en passant, les Bigarrures, livre né viable, ne comptent pas moins de quinze éditions), le grave avocat général Estienne Pasquier écrivit bien à son ami Tabourot : « J’eusse souhaité qu’on y eût rien augmenté ; en tels sujets, il faut que l’on pense que ce soit un jeu et non un vœu auquel nous fichions toutes nos pensées. » Mais quel faible correctif c’était à cette première phrase de la même lettre : « J’ai lu vos belles Bigarrures et les ai lues de bien bon cœur, non-seulement pour l’amitié que je vous porte, mais aussi pour une gentillesse et naïveté d’esprit dont elles sont pleines, ou, pour mieux dire, pour être bigarrées et diversifiées d’une infinité de beaux traits » Nous reconnaissons dans ces lignes le « chercheur des pulces de mes damoiselles Des Roches » durant les loisirs des grands jours de Poitiers, en 1579.

Aussi Tabourot ne prit-il au sérieux que les éloges de Pasquier ; de ses bons et sages conseils, il ne tint compte, et bien il fit ; autrement il ne nous eût jamais donné le quatrième livre des Bigarrures « pour fermer la bouche à un tas de calomniateurs ignorants qui lui objectoient malignement qu’il n’avoit l’esprit disposé qu’à des lascivetés, » et nous eussions été privés des Apophtegmes du sieur Gaulard et des Escraignes Dijonnoises, écrits bien capables de faire rouvrir la bouche à tous les Gâtons renfrognés, mais cette fois pour rire, à gorge déployée, des joyeux devis de Catherine l’Enragée, de Jeanne la Noire, de Claudin Fainéant, de Denis Grospied, et tutti quanti.

Il y a, effectivement, dans ces Escraignes, un fond de gaieté franche et d’esprit populaire assez riche pour établir la fortune du seigneur