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POÉSIES DE SCARRON.

A ce dernier discours du plus grand fou de France,
Je m’éclatai de rire, et rompis le silence.
« Vous riez ? me dit-il. C’est l’ordinaire effet
Que sur tous mes amis mon entreprise a fait :
Mais vous savez qu’il est divers motifs de rire.
On rit quand on se moque, on rit quand on admire ;
Et je gagerais bien que votre bon esprit
Admire mon dessein, dans le temps qu’il en rit.
— Votre dessein, monsieur, si je m’y puis connaître,
Est grand, lui repartis-je, autant qu’il le peut être ;
Jamais homme vivant n’a fait un tel dessein :
Mais il vous faut du temps pour le conduire à fin.
— Que dites-vous ? j’y joins l’histoire universelle.
A moi cent mille vers sont une bagatelle :
Je conduirai l’ouvrage à sa perfection,
Dans deux ans, au plus tard. — Et pour l’impression ?
Lui dis-je. — Ah ! pour l’honneur du royaume de France
Doutez-vous que la cour n’en fasse la dépense ?
Plus de vingt partisans, si le roi le permet,
Prendront, quand je voudrai, cette affaire à forfait. »
Il entra là-dessus des dames dans ma chambre ;
Le gant de Martial^ l’éventail chargé d’ambre
Exhalèrent dans l’air une excellente odeur :
Mon pauvre bel esprit en changea de couleur.
« Je suis bien malheureux qu’à l’abord de ces belles.
Leur parfum m’ait causé des syncopes mortelles,
Me dit-il : quoiqu’en tout je sois un vrai Dion,
Les parfums me font peur comme à feu Bullion ;
Sans cela j’aurais lu, devant ces belles dames,
Sur les noces du roi cinq cents épithalames.
Je m’en vais donc, monsieur ; un trésorier de Tours
M’attend à Luxembourg pour me mener au cours :
Je vous reviendrai voir demain à la même heure,
Et vous visiterai tous les jours, ou je meure. »
Il sortit là-dessus : sa canne s’accrocha
Dans l’un de ses canons, et mon homme broncha.