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EUSTACHE LE NOBLE


1643 — 1711



Les romanciers et ceux qui se plaisent à raconter les aventures amoureuses n’ont pas négligé la ie romanesque d’Eustache Le Noble ; les historiens littéraires ont à peine gardé son souvenir. Tous les curieux connaissent l’amant de la belle épicière ; tout le monde ignore les œuvres de l’écrivain. Qui a lu Fradine ou les Ongles coupés ? Qui a lu les Noyers, ce poème satirique dont Boileau louait l’esprit et la grâce, en pardonnant les imperfections à la jeunesse de l’auteur ? Qui sait un mot de ses romans, de ses promenades, de ses dialogues, de ses odes, de ses fables, de ses sonnets, de ses comédies ? Quel érudit lettré a parcouru un seul des vingt volumes qui contiennent ses œuvres complètes ?

Voilà le destin de ces esprits faciles !

Capables de tout, ils gâtent tout par leur précipitation ; prodigues d’eux-mêmes, ils se répandent sans réserve, à travers tous les sujets, et se livrent sans choix à tout ce qui les sollicite ; vifs, gracieux, légers, ils sont lus, goûtés et applaudis par le siècle qui passe avec eux ; le siècle qui les suit ne les connaît plus.

Peut-être Eustache Le Noble fût-il parvenu à garantir son talent de cette facilité dangereuse qui donne trop promptement des succès éphémères, peut-être eût-il poursuivi et atteint la perfection qui assure la durée des œuvres ; mais il eut devant lui des ennemis puissants qu’il ne put vaincre : les passions et la misère. La folie des plaisirs le saisit tout jeune et ne lui laissa point de trêve. Bien qu’il fût d’une maison honorée et sans souillure, baron de Ténelière et de Saint-Georges, procureur général au parlement de Metz, fils d’un lieutenant général au bailliage de Troyes, petit-fils d’un conseiller d’État, il n’eut contre l’entraînement des sens ni le respect de lui-même, ni le respect de sa famille et de sa charge. Accusé d’avoir fabriqué de faux actes, con-