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LA FARE


1644 — 1712



Il y a toute une lignée de poètes qui feraient douter absolument de l’immortalité de l’âme, si la psychologie n’était qu’une science expérimentale. On ne peut songer qu’avec un sourire d’ironie à l’âme immortelle d’un Chapelle, d’un La Fare, d’un Parny, d’un Bertin. Ces épicuriens semblent tellement étrangers à l’idée d’un autre monde, qu’on les trouve presque dépaysés dans celui-ci. La nature humaine, chez eux, se réduit fatalement ou volontairement à je ne sais quel instinct d’oiseau babillard, gourmand, lascif et léger. Tant que la jeunesse dure, l’oiseau chante et picore au hasard, saisissant le plaisir au vol et jouant en plein soleil du bec et des ailes ; mais quand la vieillesse arrive, il arrive souvent que la jolie créature aérienne devient tout à coup une laide bote à quatre pattes, une bête ruminante, paresseuse, immonde, attirée uniquement par l’odeur de la truffe et les miasmes du bourbier. La Fare, cet ami de Chaulieu a prouvé mieux que personne et sans effort qu’à l’abbaye d’Épicure il y a toujours eu des troupeaux et des volières : il a été de la volière, il a été du troupeau.

Né dans un château du Vivarais, Charles-Auguste, marquis de La Fare, entra dans la vie par une porte brillante. Mestre de camp du régiment de Languedoc, qui avait été commandé par son père, il fut présenté au roi sous les auspices de la duchesse de Montausier, l’amie de sa famille, dans tout l’éclat de la première jeunesse : il avait à peine dix-huit ans quand il parut à la cour. Naissance, figure, agréments, relations, le jeune ambitieux avait tout pour réussir. En 664, il fut du ballet de Vincennes ; il obtint plus tard le guidon, puis la sous-lieutenance des gendarmes-dauphin. L’expédition de Hongrie, où il