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LEFRANC DE POMPIGNAN


1709 — 1784



Il a suffi de deux strophes pour immortaliser le nom de Jean-Jacques Lefranc, marquis de Pompignan. Le reste de ses vers, hymnes et odes, prophéties, cantiques et psaumes, traductions du grec et du latin, tragédies et opéras, tout est tombé dans un oubli profond, qui justifie l’épigramme de Voltaire :

Sacrés ils sont, car personne n’y touche.


Mais la strophe qui pleure la mort « du premier chantre du monde » et celle qui célèbre « l’astre éclatant de l’univers » sont restées toutes deux et resteront dans la mémoire des hommes. C’est qu’elles sont belles en dehors des conventions d’une époque, en dépit des règles étroites et des préceptes faux ; c’est qu’elles ont le mouvement, l’élan, la splendeur lyriques. Par là même elles sont de tous les temps. Tel est, en effet, le sort de la vraie poésie : changement de mœurs, d’idées, de rhétoriques, rien ne la diminue. Les œuvres sagement et savamment ordonnées d’après le goût et— la mode d’un certain temps passent avec ce temps et cette mode ; la poésie reste immuable, et à travers toutes les querelles d’école, la postérité ne peut la méconnaître. On chercherait vainement à expliquer par quel mystérieux instinct Lefranc de Pompignan atteignit à cet enthousiasme lyrique ignoré do ses contemporains et de Jean-Baptiste Rousseau lui-même. Il fut poète un seul jour ; le lendemain, il redevint ce qu’il avait été la veille, un versificateur terne, mou, glacé. Dans quelques imitations des prophéties il retrouve, il est vrai, une faible chaleur, et, par hasard, le sentiment de la poésie hébraïque ; dans quelques imitations des Grecs il