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DIX-HUITIÈME SIÈCLE.

vent injuste, il est vrai, continuait de maltraiter. « Dans son logement, sous le toit du palais des Tuileries, que madame de Pompadour avait meublé en brocatelle, il vivait « le plus content des hommes *. » L’ambitieux n’était pas né : l’abbé rimait toujours. Cependant, il n’ajouta guère dès lors un trait notable qui vînt changer sa physionomie de poê’te. L’opinion était fixée ; et, sous ce rapport, — le seul qui soit ici de notre ressort de critique, — nous n’avons d’autre intérêt que d’établir quelle était, en résumé, cette opinion des contemporains, et ce que demeure l’œuvre en elle-même au point de vue de l’histoire littéraire et de l’art pur.

Le piquant sobriquet, comme les aimait et savait si bien les trouver Voltaire, il est resté, tout le monde le sait ; à nos yeux pourtant, il a le tort de représenter, pour beaucoup d’esprits qui ne le connaissent guère que par ce trait si vite consacré, Bernis tout entier. Le mot de Babet la Bouquetière est devenu l’enseigne indélébile du petit magasin poétique de l’auteur des Quatre Saisons. Eh ! sans doute, il y a trop de bouquets, trop de fleurs coupées, jetées en tas ou artificiellement arrangées. L’aspect dominant de cette poésie d’abbé de cour est vu et bien saisi par un coup d’œil de maître. Pour avoir l’idée juste et complète de Bernis, il ne faut pourtant pas s’en tenir là.

Le mot de Voltaire, d’ailleurs, a son inévitable écho dans le vers, devenu proverbial, du roi de Prusse :

Et je laisse à Bernis sa stérile abondance.

Mais combien de lettrés ne savent rien du poëte que par ces deux jolis mots, qui, depuis cent ans, circulent ainsi, frappés comme une médaille !

On le compara souvent à Chaulieu, dont on le faisait, assez à la légère, selon nous, l’imitateur ou le disciple. Bernis ne s’inquiéta guère du chantre de Fontenay-aux-Roses ; je ne vois pas, surtout, qu’il pensât à l’imiter. S’il eut une ressemblance un peu vague avec le petit Horace des Vendôme, assurément ce fut par quelques traits d’existence mondaine et de voluptueuse paresse, plutôt que par des affinités d’écrivain. Cependant, en vers ou en prose, on établit entre eux plus d’une fois des parallèles en règle. J’en trouve un dans la correspondance de Grimm, où la plus belle part de l’hommage revient à Chaulieu, mais

1 Marmontel, Mémoires.