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SOUVENIRS

à nos guichetiers qu’on n’avait pas pu réduire toutes ces graines en farine pour nous en fabriquer du pain comme à l’ordinaire, parce que la rivière était à sec et qu’il n’avait pas fait assez de vent pour faire tourner les moulins.

La personne la plus contrariée de ce mauvais régime était la Comtesse d’Hinnisdaël, attendu qu’elle était continuellement préoccupée de gourmandise. — Imaginez ce que j’ai vu à-bas ! s’écrie-t-elle en nous arrivant éperdument.

— Qu’est-ce qu’il y a ? Qu’est-ce qui va nous arriver ?… Qu’est-ce que c’est donc ?

— C’est le jardinier qui déjeune en mordant a même un pain de quatre livres, et dans une botte de radis sans la délier.

— Que le diable t’emporte avec tes histoires de mangerie ! lui dit sa tante de Ghistelles, tu nous es venue faire une frayeur mortelle, et tu n’as de souci que pour ne pas mourir de faim[1].

La Princesse de Ghistelles avait une charmante histoire de table à propos de M. Necker, et c’était qu’un jour, en sa maison de campagne, à Saint-Ouen, les convives de cet adorable homme étaient en admiration devant un plateau dormant, sur le milieu duquel on avait mis un gros vase avec une gerbe de fleurs ! Mme de Staël en témoignait une sorte de

  1. Louise Élizabeth de Melun, Princesse d’Épinoy, Grande d’Espagne, etc, veuve de Philippe Emmanuel Prince de Ghistelles et du S. Empire, Marquis de Saint-Floris et de Croix. Elle était la dernière de sa maison, ce qui valut la Grandesse d’Espagne à son mari. (Note de l’Auteur).