Page:Créquy - Souvenirs, tome 8.djvu/171

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
167
DE LA MARQUISE DE CRÉQUY.

que les nomenclatures de la géographie conventionnelle étaient remplies d’obscurité ; et quand il était question dans les journaux, d’Égalité-sur-Marne ou de Roc-libre, par exemple, vous pensez bien que les bonnes gens comme nous s’en trouvaient dépaysés. Il y avait Libre-ville et Havre-Marat, Libre-val-sur-Cher et Philopœmina dans les Vosges. On passait à Côteau-Danton pour aller à Guillotinville, et l’on revenait à Couronne-civique par Tolérance-religieuse, autrement dit Port-Paschal et ci-devant Royal. Mme de Brézé recevait des lettres timbrées de Fraternité-sur-Loire et de Saint-Étienne en Forez qui s’appelait Commune-d’armes. On disait Saare-libre au lieu de Saarre-Louis et Charlibre au lieu de Charleroy. Je me souviens que la petite capitale du Bourbonnais avait eu la modestie de s’intituler Moulins-de-la-république. Saint-Denys était devenu Franciade, et Brutus-le-Magnanime était tout bonnement Saint-Pierre-le-Moutier. Quant à la seigneurie de Mesdames de Remiremont, localité des plus nobiliaires, on s’y qualifiait généreusement et fièrement de citoyens montagnards de Libremont, l’inaccessible au fanatisme et à la tyrannie féodale.

Je vous puis dire aussi que les feuilles d’annonces invitaient souvent les citoyens et citoyennes du négoce à faire le voyage de Paris à Bourg-Égalité, ci-devant Bourg-la-Reine, afin d’y visiter et prendre à location (pour y passer agréablement les décadis du trimestre en dor) une élégante et simple chaumière accompagnée d’un verger rustique (dont la contenance excédait un quart d’hectare), et la même annonce ajoutait que cette attrayante et champêtre