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SOUVENIRS

rière les oreilles, et qui ne voulait jamais quitter son lit de sangles ; il apostrophait quelquefois rudement son jeune infirmier qui n’en tenait compte et qui lui disait avec une patience admirable : — Je fais de mon mieux ; si vous vous fâchez contre moi, qui est-ce qui viendra vous soigner ? Il partageait ses alimens et son argent avec les nécessiteux ; il se dépouillait de ses vêtemens pour couvrir les nus, et le plus beau de son affaire était de s’en cacher comme il aurait fait d’un vice ou d’un ridicule. Je n’ai jamais vu réunir un si tendre cœur à plus de fermeté de caractère, à plus de souplesse et d’originalité dans l’esprit. Il n’était jamais content de ce qu’il écrivait. Il n’est pas vrai que son frère ne l’aimât point. Je ne sais comment il a pu l’abandonner à la hache de Fouquier-Tinville, mais c’était certainement par une fausse confiance, et j’en suis bien sûre après l’avoir vu se rouler par terre et sanglotter comme il a fait devant moi, chez sa malheureuse mère, auprès de qui j’étais allée pour exécuter une triste commission de ce pauvre André, quelques jours après ma sortie de prison. Avec le coup d’œil et l’oreille justes, on n’est jamais trompé sur la réalité d’une affliction pareille à celle de cet autre M. de Chénier, dont le nom de baptême est Joseph, autant qu’il m’en souvient ? on est allé jusqu’à l’accuser de fratricide mais comme il a commis un parricide à l’égard du Roi, apparemment que l’impunité ne saurait exister pour un pareil forfait ; apparemment qu’à défaut de vindicte publique ou de punition légale, il faut toujours qu’un régicide se trouve soumis à quelque peine accablante, exemplaire ; a