Page:Créquy - Souvenirs, tome 8.djvu/196

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
192
SOUVENIRS

— Assaisonnez-la, c’est un service que vous me rendrez, dit l’homme bourgeonné à son convive. J’ai remarqué que toutes les fois que je dîne sur le bout du banc, comme aujourd’hui, Rousseau ne se donne pas la peine de faire mon service, et il manque toujours quelque chose à mes soles frites ; apparemment que les autres ne savent pas s’y prendre ?… Mais j’entends parler dans le premier cabinet… Qu’est-ce qu’il y a ? Qu’est-ce qui peut faire qu’on veuille entrer pendant que je dîne ?…

C’était le citoyen Merlin (de Douai) qui venait avertir Philippe-Égalité que la Convention nationale avait décrété sa mise en accusation, et qu’en attendant son jugement elle venait d’arrêter qu’il allait être conduit dans les prisons de Marseille.

— Mille Dieux ! s’écria Philippe-Égalité, en défiant le tonnerre à poing fermé : comment trouvez-vous ces canailles et ces gredins à qui j’ai rendu tant de services inappréciables ! J’ai voté la mort du tyran ! j’ai dépensé quatre-vingt-trois millions pour assurer le triomphe de l’égalité, le règne de la liberté, l’indivisibilité de la république, et voilà que les montagnards osent me frapper d’une loi d’exil et d’incarcération ? Mais c’est une indignité ! c’est une horreur, et j’espère bien que les vrais amis du peuple ne le souffriront pas !… Qu’est-ce que vous dites de cela, Montville ?

— Monseigneur, lui répondit Montville qui travaillait à préparer leur poisson, et qui s’en occupait de préférence à toute chose, – je vous dirai que ces gens-là sont des égoïstes et des ingrats. Ils ont appris que vous êtes embarrassé dans vos fi-