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DE LA MARQUISE DE CRÉQUY.

plus à rien qu’à tâcher de la conserver ; ce n’était pas une chose facile, car l’extrême agitation de ma malheureuse compagne, ses questions continuelles, ses conjectures effrayantes me troublaient beaucoup : je tâchai de la rassurer, de la calmer, mais voyant que je n’y pouvais réussir, je la priai de vouloir bien ne me plus parler, et je pris un livre ; il ne me plut pas, j’en pris un autre qui ne me plut pas davantage, et j’en essayai plusieurs, mais je ne pouvais être fixée par aucun. Je me souvins alors que j’avais remarqué mille fois qu’aucune occupation

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idées que le travail de la tapisserie, et je pris mon ouvrage. J’y travaillai environ deux heures ; au bout de ce temps-là je me trouvai assez calme pour penser que dans quelque situation que je me pusse trouver, j’aurais la tranquillité pour ne rien dire ou rien faire qui fût capable de me nuire.

« Vers l’heure du diner on vint prendre ma compagne et moi et l’on nous fit descendre dans une petite cour, dans laquelle je trouvai plusieurs autres prisonniers et un assez grand nombre de gens mal mis qui avaient tous l’air féroce, et l’air d’être ivres pour la plupart. Il n’y avait pas long-temps que j’étais dans cette cour, lorsqu’il y entra un homme de beaucoup moins mauvaise mine que ceux qui étaient là ; il en fit deux ou trois fois le tour, au dernier il passa fort près de mi, et sans tourner la tête de mon côté, il me dit : votre fille est sauvée. Il continua son chemin et sortit de la cour.