Page:Créquy - Souvenirs, tome 9.djvu/153

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quoi tous les grands seigneurs qui ont figuré dans la révolution ne s’y sont-ils fait remarquer que par la déloyauté de leur conduite on leur manque d’intelligence ?

Buonaparte est un ambitieux qui voudra faire le conquérant, et vous verrez que ceci ne profitera guère à la France. Depuis que la Savoie nous est acquise et que la Belgique nous est revenue (car en vérité, l’héritage de Marie de Bourgogne est une branche de notre couronne de lys), le territoire français est bien assez vaste ! si nous voulions l’étendre au-delà des Alpes et du Rhin, ce serait un État gigantesque et qui serait en dehors des belles proportions. Il y a les mêmes conditions pour faire un beau royaume que pour être un beau roi ; pour être un homme parfaitement bien fait, il ne faut pas avoir plus de cinq pieds sept pouces.




Quand Buonaparte enrichit ses créatures, c’est à la manière des fleuves débordés qui fertilisent les derniers champs qu’ils viennent couvrir aux dépens des terres qu’ils ont ravagées. Il paraît qu’on n’obtient pas toujours sa faveur avec des sentimens honnêtes et des habitudes honorables, et voilà pourquoi ses marques de prédilection ne sauraient faire supposer aucun autre mérite que celui de la soumission. C’est un personnage qui me semble en état et résotution de parvenir à l’exercice d’une autorité prodigieuse, mais rappelez-vous ce que je vous en prédis ; Buonaparte est un protecteur à la baguette,