Page:Créquy - Souvenirs, tome 9.djvu/199

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guillon, alors ministre d’état, et signé soi-disant du roi, pour le faire mourir en lui ouvrant les veines des bras et des pieds ;… qu’en effet les sieurs de Blanchefort et Davaud, juges de la prévôté, étant présens, le geôlier de la prison, aidé de deux valets, le mirent absolument nu et le lièrent sur une chaise de bois, après quoi le sieur de Blanchefort lui-méme introduisit un élève en chirurgie qu’il avait mandé, lui montra le soi-disant ordre qu’il portoit, et lui commanda avec menaces de saigner aux quatre veines le particulier que l’on lui présenta. Le chirurgien tout troublé pratiqua effectivement deux saignées aux bras, mais ne voulut point faire celles des pieds, assurant que ces opérations suffiroient, jugeant le prisonnier, alors saisi de frayeur, en état prochain de mort ; le sieur Blanchefort se retira ; alors le chirurgien, qui avoit reconnu ses projets infâmes, referma les saignées et mit tout en usage pour rappeler à la vie le moribond qui venoit de perdre une quantité considérable de sang… (Le malade nous a dit avoir éprouvé alors des syncopes très fréquentes pendant plusieurs jours, et que depuis ce moment-là sa santé avoit été considérablement affectée.) Le chirurgieu alla faire part de cet horrible attentat à M. le Maréchal de Noailles, alors gouverneur de Versailles, qui sur le champ fit de son ordre transporter le moribond sous escorte à l’hôtel-Dieu de Versailles où il est resté jusqu’à parfait rétablissement.

Sicièmement. Enfin le consultant nous a fait observer que sa mauvaise nourriture dans ses différentes prisons, que l’air malsain et humide qu’il y avoit respiré, que les mauvais et incomplets traitemens de ses maladies, et qu’enfin l’ennui et les chagrins auxquels il étoit en proie dans ses différens cachots, lui avaient donné le scorbut ; que dans cette maladie ses gencives ayant été ulcérées, il avoit perdu les dents qui lui manquent effectivement aux deux mâchoires. (Les gencives étant encore aujourd’hui affectée, et plusieurs autres symptômes existant, nous jugeons que M. de Crequy n’est point encore aujourd’hui parfaitement guéri de cette maladie.)

D’après l’examen le plus scrupuleux du malade, et d’après l’énoncé qu’il nous a fait de tous les accidens ci-dessus mentionnés ; nous avons procédé à la curation, sinon complète, au moins partielle des maladies et incommodités dont il se plaignoit et au rétablissement de ses fonctions lésées. Nous avons