Page:Crawford - Insaisissable amour, av1909.djvu/298

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sait tourner autour de lui, tout devenait confus excepté son papier, la pointe de sa plume, et le panorama mouvant de son cerveau, dont il était essentiel de saisir tous les détails avant qu’ils disparussent dans les ténèbres, ou les idées sont à jamais perdues. Sa main était glacée et mal assurée, son visage pâle, les yeux battus, les paupières enflées, et les vaines des tempes saillantes. Tout en écrivant, il agitait nerveusement les pieds, levait l’épaule gauche avec impatience à la plus légère hésitation, et ses traits habituellement imperturbables exprimaient chaque pensée, pendant qu’il la rendait par des mots. La maison aurait pu brûler sur sa tête, il aurait continué d’écrire jusqu’à ce que le papier fût en feu sous sa main. Aucun bruit ordinaire ne fût arrivé à ses oreilles, qui n’entendaient que le grincement de la pointe d’acier, il aurait tout aussi bien travaillé au milieu du tapage du salon commun d’un hôtel ou dans une gare de chemin de fer que dans le silence et la solitude de sa chambre. Il avait atteint ce degré d’abstraction où rien n’a plus la moindre importance pour l’écrivain, pourvu que l’encre coule et que le papier ne boive pas. Semblable à un habile bretteur, il ne voyait que l’œil de son ennemi et l’état des armes. Les armes étaient la plume, l’encre, le papier ; l’ennemi était l’idée à poursuivre, à atteindre, à percer, et à abattre avant qu’elle pût prendre une autre forme ou s’échapper pour retourner dans le chaos. Le soleil s’éleva au-dessus de la petite cour sur laquelle donnait sa fenêtre et commença à briller à travers la chambre. Puis survint un ouragan : le ciel se fit tout à coup noir pendant que le vent sifflait dans la cour avec ce bruit désagréable qu’il fait dans les grandes villes, si différent de