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manifester dans une direction différente. Il pensa aux remontrances réitérées et aux nombreux conseils qu’il avait reçus pendant les derniers jours, il pensa à sa pauvreté, à ses insuccès, et il compara tout cela à ses aspirations. Non seulement il voulait épouser Constance Fearing, mais il lui fallait encore acquérir une situation littéraire qui le rendit indépendant de sa fortune à elle.

À la pensée du temps qu’il lui fallait pour arriver à cette situation, dix ans peut-être, il désespéra un moment de jamais pouvoir atteindre au but. Il n’avait plus qu’à s’abandonner aux ailes de son imagination et à rêver de Constance jusqu’au jour où elle en épouserait un autre, alors qu’il serait sans doute enseveli sous les ruines de ses projets ; mais jusque-là au moins, il entretiendrait son illusion.

Et quelle illusion ! si énorme qu’elle l’épouvantait. Presque sans le sou ; ayant besoin, pour vivre, du secours de son père ruiné lui-même, déçu de tous côtés ; sachant par expérience qu’il n’avait aucun des moyens de succès qu’il croyait avoir. Telle était la liste de ses avantages à mettre dans la balance en face de ceux que possédait Constance Fearing. George riait amèrement en lui-même en poursuivant son chemin à travers les rues encombrées par la foule. Il fut frappé de l’idée qu’il était un homme singulièrement malheureux et se demanda ce que devaient éprouver ceux à qui la fortune souriait perpétuellement, qui n’avaient jamais connu les heures de travail acharné pour gagner un dollar, à qui l’argent semblait un élément aussi commun et aussi nécessaire que l’air. Il se souvenait, certes, du temps où, étant enfant, il avait connu le luxe et vécu dans le bien-être, et ce souvenir ajoutait une nouvelle amertume à sa si-