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Page:Crevel – Individu et Société, paru dans la Commune, 1935.djvu/9

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qui néante (du verbe néanter, en allemand, nichten). Il est toujours en proie au néant qui néante l’individu qui veut se croire une cosmogonie à lui tout seul.

Il a rétréci l’univers à ses propres limites et prié l’éternité de perpétuer ce moment de délire où le clavecin sensible, c’est-à-dire l’homme, selon Diderot, au lieu de laisser pincer ses sens par la nature qui les environne, a pensé qu’il était le seul clavecin qu’il y eût au monde et que toute l’harmonie de l’univers se passait en lui.

Harmonie ou désharmonie, peu importe. Le clavecin sensible obstiné à croire que tout se passe en lui n’entendra plus rien en lui. Cela est un fait et ce fait suffit.

Ne point chercher l’accord entre son rythme intérieur et le mouvement dialectique de l’univers, c’est, pour l’individu, risquer de perdre toute sa valeur et toute sa puissance énergétiques. C’est finalement se laisser choir parmi les vieilles marionnettes de la réaction.

Nous en avons connu de ces Maurice Barrès, anarchistes et nécrophiles distingués. Ils ont trouvé leur place dans la sarabande des vieux fantômes féroces, là où tout n’est que sang caillé, sueur froide, linceul et chaînes tintinnabulantes.

À ces fantômes, s’opposent les hommes en vie, les individus qui cherchent non plus des compromis avec la Société, mais entendent la transformer pour que leur accord avec elle ne soit plus l’infâme synonyme de renoncement à soi-même.

Au revenant, s’oppose le devenant.

René CREVEL.